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  • plumesdelarbre

L'eau de la rivière et Alzheimer



L'EAU DE LA RIVIERE Je me souviens du jour où j’ai compris que ma mère était malade. Tout s’est joué en un instant, en un regard… Une phrase en suspend et un regard qui part au loin dans un pays d’ailleurs… et j’ai su. Mon mental avait beau me raconter des histoires, une certitude s’était engrammée en moi et ne me quittait pas. Pendant longtemps, je suis restée seule à porter cette vérité… A chaque fois que j’essayais de trouver une écoute, je m’entendais dire que ma mère était fragilisée du fait de son grand âge. J’ai fini par me taire. Seul, le médecin de famille m’a entendue et a fait son boulot. Le mot Alzheimer m’effrayait. Il m’était difficile à prononcer… Il se coinçait dans ma gorge. Je l’évitais autant que possible. Je le redoutais. Que Jeannine soit atteinte de cette vacherie était le pire de ce qui pouvait nous arriver… Et le pire était d’anticiper… anticiper les jours à venir en étant aux premières loges, témoin de sa fuite dans un monde parallèle, un monde à part… Le pire était d’accepter de faire avec la réalité. Non, je n’étais pas d’accord. Non, la vie ne pouvait pas nous faire « ça ». Pas à nous… Aux autres, peut-être. Mais pas à nous.

 


La réalité s’est imposée. Un matin de printemps, rendez-vous à l’hôpital pour le verdict après une floppée d’examens. La femme médecin ne tourna pas autour du pot : « Madame, je n’ai pas une bonne nouvelle » dit-elle en pesant ses mots « Vous êtes atteinte de la maladie d’Alzheimer ». Le mot était lâché. A ce moment de vérité, ma mère choisit de s’absenter. Je fus seule à accuser le coup et sentit les larmes se frayer un chemin… Elle revint alors de son pays d’ailleurs. Son regard se fit tendre. Avec douceur, elle posa une main sur la mienne comme pour me consoler et me dit : « C’est moi qui te fais pleurer… ». Elle me sourit… « Il ne faut pas pleurer… ». J’ai cru qu’il allait me falloir être forte. J’ai cru qu’il allait falloir me battre… Je me trompais. Les mois qui suivirent furent faits de haut et de bas jusqu’au moment où ma mère vint habiter quelque temps chez moi avant de terminer sa vie dans un lieu médicalisé. Nous eûmes des moments heureux en dépit d’Alzheimer.


 


Les jours où je serrais les dents, nous étions mal l’une et l’autre. Les jours où je luttais, le courant ne passait pas... Ma mère allait dans son monde, je restais dans le mien. La communication était coupée. Les moments où je lâchais prise, nous étions à nouveau ensemble. Ces jours-là, nous faisions avec la maladie, nous faisions avec Alzheimer, nous l’invitions à notre table. Il était là sans avoir été convié… Il fallait faire avec… Et nous faisions avec.. Il suffisait que je dise OUI et notre hôte n’avait plus la même importance, le même impact. Les jours de fluidité, j’étais au rendez-vous, j’étais inspirée… Ma mère, malgré le mal qui la rongeait, était réceptive à ma manière d’être avec elle. Elle riait de mes histoires à dormir debout. Je l’embarquais au pays des contes et la petite fille en elle se réveillait. Il suffisait que je cesse de m’accrocher à ce NON pour rentrer dans la danse.


 

Quelque temps plus tard, ma mère fut placée. Un dimanche, j’allai visiter ma mère. Je la revois dans son fauteuil. Ce matin-là, elle était bien présente. Elle m’attendait. Ces moments étaient devenus rares. Jamais je n’oublierai l’intensité de son regard pour m’annoncer qu’elle allait partir. Il y avait dans ses mots et dans l’intonation de sa voix, quelque chose de posé. J’ai su qu’elle disait vrai. J’ai dit « OUI ». Je n’ai pas cherché à m’accrocher ou à la démentir. Une nouvelle fois, j’ai lâché prise. Nous avons vécu elle et moi un moment rare, un moment d’une grande douceur… Ma mère s’en est allée le lendemain. L’eau de la rivière a emporté Alzheimer qui n’a pas eu le dernier mot. Le meilleur de nous bien au chaud. Je l’ai gardé… Martine



Thème : ça coule

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